Paul Atwood : «Des Américains déguisés ont participé aux massacres en Algérie»

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Le Dr Paul L. Atwood. D. R.

Le Dr Paul L. Atwood. D.R.

English version here: https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/2014/03/05/disguised-americans-participated-in-the-massacres-in-algeria/

Mohsen Abdelmoumen : Dans un de vos ouvrages, vous avez affirmé que la guerre est le mode de vie américain. Pouvez-vous nous expliquer vos propos ?

Dr Paul L. Atwood : Les Etats-Unis n’étaient au début du XVIIe siècle qu’une colonie de la Grande-Bretagne qui commençait alors la construction de son empire. Les Etats-Unis se sont donc édifiés à partir d’un avant-poste d’empire, exigeant la conquête des peuples autochtones établis le long des rivages de l’océan Atlantique. La Grande-Bretagne rivalisait avec d’autres empires concurrents comme l’Espagne, la France, le Portugal et les Pays-Bas, et créait en même temps les premières étapes du capitalisme moderne. Les sociétés de Nouvelle-Angleterre et de Virginie qui ont établi leurs premières colonies étaient des entreprises d’actions communes créées pour générer un bénéfice. Elles étaient les ancêtres de la société moderne. Pour rendre la production du poisson, de la fourrure, du bois de charpente et des plantations rentable, les peuples indigènes ont dû être vaincus et même exterminés, et des esclaves ont dû être importés. Tout ceci a été fait avec une extrême violence accompagnée de racisme. Au milieu de l’Amérique du XVIIIe siècle, des élites coloniales et beaucoup de fermiers ordinaires ainsi que des artisans ont décidé qu’ils ne voulaient plus payer des impôts exorbitants au gouvernement britannique. Les élites américaines ont décrété qu’elles devraient dorénavant bénéficier des avantages du prétendu «Nouveau Monde» et ne plus partager avec la Grande-Bretagne. A l’indépendance, les Etats-Unis naissants étaient un ruban étroit de petits Etats au bord de l’Atlantique, mais en 59 ans, les forces armées américaines ont progressé à travers 3 000 miles de terres, conquérant de nouveaux territoires britanniques, espagnols, français, mexicains et ceux de nombreux peuples autochtones. Aucune autre nation dans l’Histoire n’a agrandi si largement son territoire de façon aussi rapide. Bien sûr, les Américains ont justifié cette attaque avec une idéologie prétendant qu’ils étaient supérieurs et qu’ils établissaient une meilleure civilisation. Après une guerre civile sanglante pour empêcher le pays de se scinder en deux, les États-Unis se sont rapidement industrialisés et ont favorisé une armée et une marine modernes dotées d’armes industrielles fortement destructives. Ils ont commencé à rivaliser sur la scène internationale avec d’autres empires, comme l’Allemagne nouvellement émergente et le Japon, dans ces zones du monde qui n’étaient pas déjà sous domination, et ont comploté pour chaparder les territoires des empires les plus faibles. En 1898, les Etats-Unis sont entrés en guerre contre l’Espagne et ont annexé ses colonies restantes de Porto Rico, Cuba, les Philippines et l’île de Guam. Lorsque les Philippins se sont révoltés parce que les Etats-Unis leur refusaient l’indépendance promise, ils ont été écrasés avec plus de 200 000 tués. En même temps, les Etats-Unis ont pris le contrôle d’Hawaï contre la volonté des autochtones et y ont établi une base pour leur nouvelle marine à Pearl Harbor. Peu après, les Etats-Unis sont entrés dans la guerre qui sévissait en Europe, appelée aujourd’hui Première Guerre mondiale, et ils sont en conséquence devenus la nation la plus économiquement riche et la plus puissante sur terre, remplaçant la Grande-Bretagne dans ce rôle. La Première Guerre mondiale n’ayant pas résolu les questions majeures entre les empires rivaux, ce constat a bientôt mené à la Seconde Guerre mondiale dont les Etats-Unis sont sortis comme l’Etat le plus puissant militairement. Bien que le Japon avait déjà été battu et était en recherche de paix, les Etats-Unis ont employé des armes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, en grande partie pour envoyer un message à une autre nation qui avait émergé des cendres de la guerre, quoique non aussi puissante que les Etats-Unis, à savoir l’Union soviétique. La grande dépression des années 1930 avait joué un rôle majeur dans la stimulation de la guerre. Avant 1944, le commandement de production de guerre américain, craignant un afflux de chômage massif quand 12 millions de soldats sont rentrés de l’étranger, a déclaré que les Etats-Unis avaient besoin «d’une économie de guerre permanente». A cette fin, un ennemi perpétuel était requis et le communisme international faisait l’affaire. Cependant, tout aussi menaçante pour les plans américains dans le monde de l’après-guerre était l’apparition du nationalisme et des mouvements d’indépendance parmi les anciennes colonies européennes et japonaises. Opposés au communisme et au nationalisme parce que contraires à l’investissement capitaliste américain, au moins dans les termes désirés par les Etats-Unis, ceux-ci sont alors entrés dans la guerre de Corée, menant bientôt à la guerre avec la Chine. Cette guerre à peine éteinte, les Etats-Unis ont commencé à intervenir militairement et secrètement dans de nombreuses nations appartenant à ce que des Américains appellent le «Tiers-Monde», comme l’Iran, le Guatemala, le Vietnam, la République Dominicaine, l’Indonésie, l’Egypte, l’Irak et beaucoup d’autres pays, pour les forcer à entrer dans le système créé par les Etats-Unis et connu maintenant sous le nom de «globalisation». Ainsi, depuis leur naissance même, les Etats-Unis ont compté sur la guerre et le développement de l’empire, une nouvelle forme d’empire il est vrai, mais un empire néanmoins.

Le complexe militaro-industriel américain a donc un besoin vital de créer un ennemi pour pouvoir exister ?
Quand les Etats-Unis se sont élancés sur la scène mondiale de l’empire à la fin du XIXe siècle, l’objectif primordial de la stratégie globale américaine était la politique de la «porte ouverte». Cela signifiait que les Etats-Unis et leurs élites économiques et politiques souhaitaient que la fourniture des ressources, des marchés et de la main-d’œuvre bon marché, devait être ouverte à la pénétration américaine sous les conditions de cette élite. La politique semblait généreuse puisqu’elle impliquait la porte ouverte à tous, sauf que les Etats-Unis étaient devenus la première puissance économique et possédaient des avantages que d’autres n’avaient pas et pourraient donc être en mesure d’empêcher la concurrence. C’est la raison principale pour laquelle les Etats-Unis ont souhaité que l’Allemagne et le Japon soient battus, et certainement pas parce qu’ils ont constitué des menaces militaires pour les Etats-Unis eux-mêmes. Par contre, ils constituaient une menace à la porte ouverte en Europe et en Asie. Les élites américaines ont ainsi voulu affaiblir leurs «alliés» qui étaient aussi des concurrents, et encourager autant que possible leurs tributaires à adhérer à leurs plans. Rien de tout ceci n’était réalisable sans le recours aux armes. La grande dépression a menacé la stabilité intérieure américaine comme jamais auparavant et les dangers pour la stratégie de l’élite sont venus à la fois de droite et de gauche. Finalement, la dépression et le chômage extrême qui s’en est suivi ont été résolus en mettant un nombre considérable de jeunes hommes dans les armes (et beaucoup dans l’industrie d’armement financée par le gouvernement, y compris des femmes). Beaucoup de sociétés existantes ont reçu des contrats qui garantissaient un profit, bien d’autres se sont développées et existent toujours. Ainsi, de nombreuses sociétés géantes qui dominent aujourd’hui l’économie américaine doivent leur existence et la continuité de leur existence à la guerre et à la menace de guerre. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, des stratèges se sont inquiétés du retour des 12 millions de vétérans et de ce qu’ils feraient s’ils se trouvaient à nouveau dans les files de chômage. En même temps, beaucoup de sociétés nationales majeures et les banques qui les ont financées (avec la dette) sont venues pour dépendre des garanties gouvernementales de profit dans leurs contrats de guerre, et beaucoup d’entre elles auraient été confrontées à la faillite et à l’insolvabilité si ces contrats avaient été rompus. La réponse a été «l’économie de guerre permanente» et comme indiqué ci-dessus, cela a exigé des ennemis perpétuels. La propagande incessante disant que le communisme et d’autres «ismes» menaçaient la sécurité nationale américaine a endoctriné les citoyens qui ont permis qu’une grande partie du revenu national soit gaspillé dans des dépenses militaires énormes au détriment croissant du bien-être national. C’est le président sortant Dwight Eisenhower qui a popularisé le terme «complexe militaro-industriel» et qui a averti de sa capacité à surenchérir avec les parties élues et les mécanismes du gouvernement – ce qui est plus que certainement en train de se passer et que le complexe doive plus précisément être appelé le «complexe militaro-industrialo-du congrès de l’intelligence et des médias». Tandis que l’URSS et la Chine et toutes les autres formes de communisme, aussi bien que le nationalisme libéral, étaient déclarées ennemis permanents, l’écroulement de l’Union soviétique en 1991 a annoncé le désastre des énormes sociétés désormais dépendantes de l’aide du gouvernement et des revendications d’atteintes à la sécurité de l’Etat. A peine la menace communiste évaporée, Saddam Hussein, un dictateur de poche, a été reconnu pour être la réincarnation d’Hitler, à tel point que les Etats-Unis ont commencé à intervenir militairement partout dans le monde musulman, favorisant la haine et la résistance. Des élites américaines ont alors manifesté leur défiance par rapport à ces intrusions américaines qui constituaient une autre menace réelle à la sécurité. Le résultat était des budgets militaires sans cesse croissants et des finances réduites pour la santé et l’enseignement, pour les emplois et d’autres formes de prestations sociales nationales.

Les théories bellicistes des néoconservateurs américains ont-elles disparu totalement ou ont-elles été actualisées par besoin stratégique sous la présidence d’Obama ?
L’idéologie néoconservatrice était déjà évidente avant les années 1960 et a même gagné plus de terrain quand les Etats-Unis ont été battus par le Vietnam. Les néoconservateurs ne pouvaient pas comprendre comment une nation plus faible et beaucoup plus petite avait pu triompher. Leur réponse simpliste était que l’Union soviétique et la Chine devaient en avoir été responsables. Donc, quant à leur stupéfaction l’URSS s’est effondrée au début des années 1990, ils ont commencé à arguer qu’un âge d’or était arrivé pour obtenir l’hégémonie mondiale. Eux et leurs alliés militaires ont exigé «la domination totale» dans chaque sphère militaire, économique, politique, culturelle et même la suprématie dans l’espace (où des armes ultrasecrètes existent aujourd’hui et dont personne dans le public n’a une quelconque idée de leur capacité !). Quand Barack Obama était encore sénateur, il était parmi ceux, peu nombreux, qui se sont opposés à la guerre en Irak et quand il a ensuite fait campagne pour la présidence en 2008, il a promis de mettre fin à cette guerre et de se consacrer à la reconstitution de l’économie. Le public l’a cru et l’a élu sur cette base. Pour ma part, je ne peux pas déterminer s’il mentait en trompant délibérément l’électorat ou si, une fois qu’il est entré en fonction, il a été débordé par la véritable classe dirigeante aux Etats-Unis qui domine dans les coulisses et dont les membres ne sont élus par personne. Beaucoup de citoyens américains croient que le Parti démocrate est l’opposé des Républicains, mais rien n’est moins vrai. Comme Noam Chomsky le déclare, il y a un parti avec deux ailes et sur cette scène, aucun n’est «libéral» quoique quelques Démocrates pensent que les travailleurs et les classes moyennes devraient obtenir quelques miettes supplémentaires des rouages de l’économie qui est en réalité supportée par leur travail. Tandis qu’une majorité d’Américains veut que les troupes américaines soient retirées du Moyen-Orient, leurs «représentants» prennent leur temps jusqu’à ce que des instruments de mort et de destruction robotisés puissent prendre le relais. En effet, les attaques de drones américains dans bon nombre de nations musulmanes sont plus fréquentes que sous Bush 2. D’un autre côté, l’administration Obama prétend que la Chine est la menace principale à la domination américaine en Asie orientale et dans le Pacifique, et a commencé ce qui promet d’être une accumulation militaire massive dans la région, à laquelle la Chine répond en renforçant ses propres forces, ce qui augmente au final la possibilité d’une guerre avec des armes nucléaires titanesques. La plupart des citoyens américains ne s’opposent pas aux attaques de drones parce qu’ils ont subi une propagande destinée à leur faire croire que ceux-ci sont une façon moins onéreuse de les garder «à l’abri du terrorisme», bien qu’il soit certain que de telles frappes augmentent en réalité la haine envers les Etats-Unis et favorisent des attaques violentes contre des Américains, même sur leur propre sol. Les médias, qui sont censés tenir le gouvernement pour responsable, sont dominés par les banques, les compagnies pétrolières et les entreprises militaires, afin qu’ils ne mettent pas la lumière sur ces faits. Les guerres illégales (en vertu du droit international) en Irak et en Afghanistan, ainsi que les assauts sur beaucoup d’autres pays, coûtent des trillions des dollars qui pourraient être employés pour remédier à la catastrophe sociale et économique de la dernière décennie. La promesse d’Obama de restaurer la sécurité économique n’a abouti à rien après que des banques géantes et des agences quasi officielles de prêt qui ont essentiellement privé des millions de gens de leurs maisons, de leurs emplois et de leurs économies de toute une vie, ont été indemnisées de leurs pertes par les contribuables. Ces institutions dominantes s’engagent maintenant dans les mêmes pratiques qui ont engendré «la grande récession», et l’activité économique de Wall Street implique une spéculation stérile qui enrichit beaucoup plus les initiés que l’investissement productif réel qui, lui, ramènerait des emplois. Le taux de chômage «officiel» est un mensonge qui nie le fait que des millions de gens sont sans emploi avec peu de perspectives d’avenir et des millions d’autres sont sans abri ou sur le point de se retrouver à la rue. En attendant, les étudiants des collèges et des universités sont endettés jusqu’au cou et ne peuvent pas trouver des emplois qui les aideraient à rembourser ces dettes. La génération actuelle de jeunes gens ne pourra pas être capable d’atteindre le niveau de vie de leurs parents et il n’y a rien d’accidentel ou de mystérieux de cet état de choses abominable. Une grande partie du programme néoconservateur a été planifié pour discipliner les travailleurs et les classes moyennes. Sous Obama, ces groupes sociaux ont été progressivement réduits à l’état de serfs dominés par les nouveaux barons, des prédateurs qui font de leurs homologues de la fin du XIXe siècle de simples amateurs. On peut seulement espérer qu’un nouveau mouvement social capable d’aborder ces problèmes apparaîtra, et aura l’estomac pour s’opposer et lutter contre la minorité riche qui s’ensuivra. Tout ce mouvement social et politique doit mettre l’accent sur un élément important : la coopération internationale, d’autant plus que les dangers du changement climatique sont en nette augmentation, et ne pas se laisser tromper en croyant que tous les hommes sont à blâmer. Si les circonstances qui ont apporté deux guerres mondiales sont répétées, l’avenir sera sinistre.

Pouvons-nous dire que les Etats-Unis sont un pays démocratique alors que le scandale de Prism révélé par Snowden a démontré que toute la planète est mise sous écoute par la NSA ?
Il y a au moins une décennie, un certain nombre d’individus qui ont travaillé pour l’Agence de sécurité nationale (NSA) ont commencé à avertir leurs concitoyens que celle-ci les espionnait déjà à une échelle colossale. Ces gens ont été intimidés, menacés et ont perdu leur poste. Récemment, le chef de sécurité nationale, James Clapper, a menti publiquement au Congrès au sujet de cet espionnage que la loi définit comme un crime grave et qui n’a pas été puni. Les sondages montrent que la plupart des citoyens restent en grande partie indifférents aux violations de la Constitution américaine par la NSA, parce que la justification officielle est de dire que cela les protège «des terroristes». Pourtant, les actions de la NSA dénotent d’un mépris ouvertement affiché envers les Américains. Les lois sont des instruments auxquels les élites n’ont pas à obéir à moins que les membres renégats de leur club ne menacent leur poule aux œufs d’or. Cela a toujours été ainsi. La Constitution américaine a été modelée en grande partie sur le système britannique par lequel une Chambre des lords avait le veto effectif sur la Chambre des communes. A la naissance des Etats-Unis, les deux chambres ont été appelées le Sénat et la Chambre des représentants. Notez que seulement 55 hommes ont rédigé ce document, tous ayant été élus par des pairs et s’étant choisis mutuellement pour «représenter» la nation. Tous étaient des banquiers riches, des hommes d’affaires ou des propriétaires de plantations esclavagistes (propriétaires de 25 esclaves, y compris George Washington, l’homme le plus riche des Etats-Unis). Notez aussi que tous étaient intéressés à atténuer le potentiel d’une véritable démocratie. Dans les faits, seulement 25% de la population totale a pu voter, dans la plupart des cas la qualification en tant que propriétaire était le critère, et les quelques-uns qui ont été autorisés à voter n’ont pas pu le faire pour le Sénat avant 1913. Avant cela, les législateurs d’Etat des Chambres hautes (eux-mêmes membres autochoisis de l’élite) ont choisi des sénateurs pour s’assurer que les sièges seraient tenus par d’autres élites de confiance. Aucune femme ne pouvait voter, ni les esclaves, ni les Noirs les plus libres, ni les Natifs (Amérindiens, ndlr), et la plus grande partie de la population masculine blanche voyait ses droits de voter niés jusqu’à la troisième et quatrième décennie du XIXe siècle. Les Américains ont toujours dit qu’ils possèdent des libertés fondamentales connues comme la Déclaration des droits, les dix premiers amendements de la Constitution. Mais peu sont renseignés sur le fait que la majorité des fondateurs a été opposée à l’octroi de ces droits. Ils ont été adoptés parce que les élites craignaient que la Constitution ne soit pas ratifiée et exécutée à moins que ces dispositions clés n’aient été ajoutées. Des dix Amendements, le premier protège la liberté d’expression et l’assemblée, mais ceci est toujours sous attaque. C’est la pierre angulaire de toutes les autres libertés, sans la liberté de protester toutes les autres auraient depuis longtemps été piétinées.
Notez les déclarations suivantes de deux des «Fondateurs» les plus idolâtrés :
«… Notre gouvernement doit garantir les intérêts permanents du pays contre l’innovation. Les propriétaires fonciers devraient avoir une action dans le gouvernement pour soutenir ces intérêts inestimables, et pour équilibrer et contrôler les autres. Ils doivent être choisis pour protéger la minorité des riches contre la majorité. Le Sénat, donc, devrait être cet organisme ; et pour répondre à ces buts, ils devraient avoir la permanence et la stabilité.» James Madison.
«Toutes les communautés se divisent elles-mêmes entre quelques-uns et le grand nombre. Il y a d’abord le riche et bien né, et puis la masse des gens. On a dit que la voix du peuple était la voix de Dieu et cette maxime a été citée et généralement crue, en fait ce n’est pas vrai. Les gens sont turbulents et versatiles ; ils jugent rarement ou décident bien. Donnez donc à la première classe une part distincte, permanente dans le gouvernement. Ils maîtriseront l’instabilité de la deuxième et comme ils ne peuvent être intéressés par un changement, ils maintiendront donc le bon fonctionnement du gouvernement. Une assemblée démocratique, qui se modifie à longueur d’année dans la masse des gens, est-elle censée rechercher de manière constante le bien public ? Il n’y a qu’un corps permanent qui puisse contrôler l’imprudence de démocratie. Leur disposition à la turbulence et à l’agitation exige des contrôles.» Alexander Hamilton.
A la fin du XIXe siècle, le système était d’une manière flagrante si corrompu que les hauts fonctionnaires ont été ouvertement appelés les sénateurs de la compagnie pétrolière Standard Oil ou les représentants de la banque Morgan. A ce jour, le Sénat est un club de millionnaires et si quelqu’un arrive non millionnaire, il (ou elle) peut être sûr que sa retraite (en supposant qu’il ou elle n’ait pas contredit les intérêts de l’élite) sera généreusement indemnisée. Bien que tous ceux qui sont nés aux Etats-Unis aient reçu le «droit» de voter, les candidats pour le bureau national sont examinés de près par des intérêts puissants avant que leurs noms n’apparaissent sur des bulletins et les campagnes politiques sont des cirques de relations publiques dans lesquels on promet beaucoup, mais peu est tenu. Obama en est un exemple parfait. Les élus qui désirent réellement servir les intérêts populaires sont relativement rares et sont d’habitude mis en minorité par ceux qui servent le pouvoir en pliant les genoux avec leurs mains tendues. A moins qu’ils ne promettent de protéger les intérêts de l’élite, les candidats potentiels ne seront pas admis sur la scène nationale. Bien des citoyens sont conscients des mascarades qui ont lieu à intervalles réguliers ; c’est l’une des raisons – cela et le désespoir que quoi que ce soit puisse réellement changer – pour lesquelles moins de 25% des citoyens votent. Les élus écoutent rarement la voix de ces gens qui ont voté pour eux. Pendant les campagnes, deux éléments sont nécessaires : l’argent et les électeurs. Pour acquérir des votes, de nombreuses promesses sont faites, mais la plupart de l’argent provient des entreprises et des banques puissantes qui ont des préoccupations fondamentalement différentes de celles des électeurs. Quand vient le temps de choisir entre tenir les promesses ou servir l’argent, le choix pour la plupart des élus est clair. Quelle démocratie !

Ne pensez-vous pas que la position américaine pro-Israël et sa politique interventionniste et guerrière empêchent des Etats comme l’Algérie, mon pays, d’entretenir des relations normales avec les Etats-Unis qui pensent seulement à leurs propres intérêts et ceux d’Israël ?
Quand la Grande-Bretagne a décidé de se retirer de sa colonie de Palestine en 1947 et de se tourner vers les Nations unies, les Etats-Unis et l’Union soviétique ont joué un rôle majeur dans la décision de diviser le territoire en deux Etats séparés. Confrontée pour la première fois avec la décision de ce qu’il fallait faire de la Palestine, la direction américaine était divisée avec une majorité non favorable à un Etat juif. Cela était dû principalement au fait que la Seconde Guerre mondiale avait épuisé les réserves américaines de pétrole et la plupart des élites américaines désiraient entretenir de bonnes relations avec les producteurs de pétrole arabes, particulièrement l’Arabie Saoudite. L’URSS, pour sa part, savait que beaucoup parmi les réfugiés juifs en Europe à la suite du programme d’extermination nazi étaient socialistes ou communistes et elle a cru qu’ils serviraient les intérêts soviétiques dans la région. La politique américaine a joué un rôle dans la décision du président Truman d’approuver la division de la Palestine, particulièrement le besoin de gagner le vote juif dans les prochaines élections et obtenir des contributions juives pour la campagne. Dans une certaine mesure, la culpabilité américaine de n’avoir rien fait pour aider les juifs persécutés avant et pendant la guerre a aussi contribué, mais en même temps beaucoup de citoyens américains étaient profondément antisémites et ne voulaient pas non plus que de soi-disant «réfujuifs» entrent aux Etats-Unis. En fin de compte, les Etats-Unis ont subi des pressions de la part de nombreuses nations pour voter en faveur de la partition. Les élites américaines en sont finalement venues à considérer Israël comme un «atout stratégique» au Moyen-Orient contre le nationalisme arabe, l’influence soviétique et aujourd’hui «la guerre contre le terrorisme». Comme vos lecteurs le savent, l’Etat indépendant de la Palestine n’a jamais vu le jour. Un certain nombre d’historiens israéliens ont montré qu’au moment de la création d’Israël, les Israéliens au pouvoir avaient calculé qu’ils devraient accepter temporairement la partition de la Palestine, mais ont utilisé plus tard une puissance militaire croissante pour annexer toute la terre que les Ecritures saintes juives destinaient exclusivement aux juifs (et cette affirmation inclut un territoire actuellement contrôlé par l’Egypte, la Jordanie, le Liban et la Syrie). C’est exactement ce qui s’est produit depuis 1948 et le gouvernement américain s’est associé à ce plan malgré la rhétorique américaine qui soutient un Etat palestinien. Evidemment, on n’a pas demandé aux Palestiniens ce qu’ils désiraient, ni s’ils avaient un avis. Tous les pays arabo-musulmans qui pouvaient voter l’ont fait contre la partition, mais ils ont été dépassés en nombre dans le vote de l’ONU. Quand le nouvel Etat d’Israël a été déclaré en 1948, l’Egypte, la Transjordanie, l’Irak et la Syrie ont été envahis. L’honnêteté m’impose de dire que ces pays étaient plus intéressés par l’annexion du territoire de la Palestine pour eux-mêmes que de servir les intérêts des Palestiniens, mais ils ont été battus par les Israéliens, qui ont commis des atrocités en chassant environ 800 000 Palestiniens de leurs terres et ont utilisé la Première Guerre arabo-israélienne pour s’accaparer près de la moitié du territoire qui était destiné à un Etat palestinien. Beaucoup de leaders israéliens à l’époque, y compris David Ben Gurion, le Premier ministre initial, ont déclaré ouvertement qu’Israël finirait par faire ce qu’il faut pour acquérir la totalité de la terre palestinienne et c’est exactement ce qu’Israël a fait depuis. En 1956, les Etats-Unis ont arrêté une tentative de la Grande-Bretagne, de la France et d’Israël d’empêcher la nationalisation du Canal de Suez par Gamal Abdel Nasser, principalement pour éviter une guerre totale au Moyen-Orient. Depuis lors, les Etats-Unis ont fourni une aide économique et militaire massive à Israël allant jusqu’à prétendre qu’Israël n’a pas développé les armes nucléaires en violation du Traité de non-prolifération nucléaire qu’Israël refuse de signer. Évidemment tout ceci a entraîné des relations difficiles, tendues et violentes avec une grande partie du public arabo-musulman qui voit à juste titre l’hypocrisie de la rhétorique des États-Unis en faveur de la Palestine. Beaucoup croient que les États-Unis se sont engagés dans la guerre avec l’Irak essentiellement pour servir des intérêts israéliens, puisque le gouvernement de Saddam Hussein n’a constitué aucune menace pour les Etats-Unis. En attendant, puisque l’Arabie Saoudite a besoin de continuer sa relation avec les Etats-Unis, elle est devenue ce qui équivaut à un allié de facto d’Israël. Je ne peux pas parler directement des relations américaines avec l’Algérie aujourd’hui. Je sais que les Etats-Unis ont initialement soutenu la tentative de la France d’étouffer l’indépendance algérienne, et je sais que les Etats-Unis souhaitent que l’Algérie reste dans l’orbite européenne. Permettez-moi de raconter une triste expérience que j’ai vécue au début des années 1990. Un jeune homme m’a visité au bureau. Il n’était pas étudiant dans mon université, mais savait que notre institut essayait d’aider des vétérans à faire face aux conséquences souvent épouvantables de leurs expériences et il voulait simplement parler. Il m’a dit en pleurant qu’il avait été membre des forces spéciales de l’armée de terre des Etats-Unis et qu’il avait été envoyé en Algérie pendant la guerre civile des années 1990. Il a dit que lui et son équipe ont utilisé des produits cosmétiques pour assombrir leur peau et ont porté des vêtements et des couvre-chefs algériens. Alors, avec des Algériens indigènes criant des slogans islamiques en arabe, ils ont tous couru à travers des villages en tuant des gens innocents, y compris des femmes et des enfants. J’étais choqué, mais je savais aussi que les forces américaines faisaient habituellement de telles choses, bien qu’elles soient gardées secrètes du grand public. Je pouvais aussi voir que ce jeune homme était profondément désolé de ce qu’il avait fait et cherchait désespérément à soulager sa conscience. Il avait été endoctriné à croire qu’il était en train de tuer les ennemis des Etats-Unis mais il avait ouvert les yeux. Il ne pouvait obtenir aucune allocation de l’Administration des vétérans américains parce que la campagne était ultrasecrète et qu’aucun rapport officiel de ce qu’il avait fait n’a été gardé. Il n’a pas voulu me dire son nom et je ne l’ai jamais revu.

On remarque un écart entre les Américains qui refusent la guerre et les leaders politiques qui s’engagent militairement dans plusieurs continents, particulièrement dans le monde arabo-musulman. A votre avis, à quoi est dû cet écart ?
A la suite des attaques sur le World Trade Center et le Pentagone du 11 septembre 2001, la plupart des Américains se sont rassemblés derrière le président Bush 2 et le drapeau. Seule une minorité a compris que les Etats-Unis avaient déjà planifié d’envahir l’Afghanistan parce que les talibans refusaient de coopérer avec les projets américains d’exploiter les ressources énergétiques en Asie centrale et de les transporter par pipeline à travers ce pays. Les attentats sont devenus la raison d’envahir l’Afghanistan. Il existe de nombreuses preuves que certains aux postes les plus hauts du gouvernement américain étaient au courant qu’une sorte d’attaque arrivait, mais ils ont attendu et lui ont permis de se produire. Comme le document néoconservateur «Reconstruction des défenses de l’Amérique» l’a affirmé juste quelques mois avant les attentats, les Etats-Unis devaient profiter de l’écroulement de l’Union soviétique pour prendre le contrôle d’une grande partie du monde, mais «un nouveau Pearl Harbor» était nécessaire pour mobiliser les masses. En 2003, quand Bush a envahi l’Irak sur la base de mensonges éhontés portant sur la menace de l’Irak au Moyen-Orient et aux États-Unis eux-mêmes, plusieurs centaines de milliers d’Américains ont manifesté en opposition à l’invasion, ainsi que des millions d’autres dans de nombreux pays. Malheureusement, ces protestations se sont éteintes rapidement et, par la suite, seules des petites minorités ont continué leur opposition publique. Les entreprises médiatiques de domination – tant libérales que de l’aile droite – diffusent une propagande incessante appuyant les revendications de Bush. Ainsi, une majorité d’Américains sont tombés dans le piège en croyant que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive et était allié avec Oussama ben Laden. Les sondages montrent qu’une majorité le croit toujours. L’agression américaine sur l’Irak était un crime de guerre majeur et la souffrance causée au peuple irakien a été et continue à être immense. Dans le même temps, les Etats-Unis ont élargi ces premières agressions en incluant aujourd’hui le Pakistan, la Somalie, le Yémen, la Libye, la Syrie par procuration, et bien d’autres nations. Loin de refuser ces agressions, la majorité de la population américaine est docilement d’accord avec elles. Beaucoup d’Américains qui s’opposent à la guerre le font par sentiment d’indignation face à la douleur, la misère et les tourments que notre pays inflige aux civils innocents, mais beaucoup d’autres ne s’opposent pas à ces attaques pour des raisons morales. Au contraire, ils se concentrent égoïstement sur les milliards de dollars dépensés qui, pensent-ils, pourraient relancer l’économie américaine, ce qui, à un certain degré, est vrai. Mais il y a aussi les opposants qui croient que les Etats-Unis ont une dette morale profonde envers les peuples que notre gouvernement a assaillis. Nous ne pouvons pas défaire les crimes qui ont déjà été commis, mais nous croyons que le Trésor américain devrait engager des ressources massives afin d’aider l’Irak et l’Afghanistan (et d’autres Etats) à se reconstruire. Il est fort peu probable que ceci ne se produira jamais. Donc, s’il y a «un écart» entre le public américain et son gouvernement comme vous le dites, il ne provient pas d’un dégoût éthique et moral conséquent aux tragédies infligées aux peuples du monde arabo-musulman. Je suis désolé de le dire.

Entretien réalisé par Mohsen Abdelmoumen

Qui est Paul L. Atwood ?
Paul L. Atwood est maître de conférences au département d’études américaines et directeur de recherche du Centre William Joiner pour l’étude de la guerre et ses conséquences sociales à l’université du Massachusetts, Boston. Il est un vétéran de la guerre du Vietnam et a écrit plusieurs ouvrages dont Guerre et Empire : lAmerican way of life. Ses intérêts de recherche portent sur les relations étrangères des Etats-Unis du XXe siècle, en histoire politique et sociale américaine.

3 réflexions au sujet de « Paul Atwood : «Des Américains déguisés ont participé aux massacres en Algérie» »

    […] fondre dans les groupes terroristes. Nous ne l’avons pas inventé, il s’agit du témoignage de Paul Atwood, vétéran de la guerre du Vietnam et directeur de recherche du Centre William Joiner pour […]

    […] fondre dans les groupes terroristes. Nous ne l’avons pas inventé, il s’agit du témoignage de Paul Atwood, vétéran de la guerre du Vietnam et directeur de recherche du Centre William Joiner pour […]

    […] ne peux m’empêcher de penser à l’Algérie durant les années  1990…. au témoignage de Paul Atwood …et à ce président qui parlait […]

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